vendredi 16 janvier 2009

Meurtre à la Bourguignonne, Blanche

Meurtre à la Bourguignonne

Monsieur Yves Bigot était journaliste à l’Yonne-républicaine, où il s’occupait de la rubrique « faits divers ». Petit, rondouillard et moustachu, Yves Bigot avait la cinquantaine et l’esprit alerte. Il vivait dans la petite ville bourguignonne de Bessy-sur-Cure et avait pour habitude, chaque matin avant de partir au travail, de saluer tous ses voisins de la rue Goulmet. Parmi eux, se trouvaient Monsieur et Madame Deroz, les Delvoix et les Zacqua. Quand il arrivait à son travail, Yves allait serrer la main de ses collègues avant de s’atteler à la tâche. Vers midi, il allait déjeuner avec ses camarades au café/bar de Monique, il adorait y écouter les commérages. Enfin, le soir, une fois rentré chez lui, il dînait avec sa femme Geneviève, sa confidente à qui il racontait toutes ses journées, puis allait se coucher.
Le matin de mon assassinat, il pleuvait. C’était le 2 novembre et Yves Bigot buvait tranquillement son café avec sa femme, avant d’aller dire bonjour à ses voisins. Personne n’avait remarqué ma disparition, j’étais censée être partie le matin même en voyage scolaire. Au moment d’aller saluer ses amis, il remarqua que le notaire, Lionel Portel, était absent : « Bah, se dit-il, il doit être parti en voyage ou dieu sait où ! »
***
Madame Françoise Deroz, une amie de Monsieur Bigot, menait à Bessy-sur-Cure une existence paisible et sans histoire avec ses chats, son chien et son vieux mari. Mais un jour, alors qu’elle se promenait avec son chien, Patouch, au bord de la Cure, elle découvrit mon corps enfoui dans la vase, derrière l’écluse que l'on n’ouvrait qu’une fois par an pour assainir le lit de la rivière. Dès qu’elle fit cette découverte macabre, elle rentra directement chez elle, téléphona à la gendarmerie et alla chercher son ami Yves Bigot, dont elle savait qu’il aimait jouer les enquêteurs. Dès qu’il apprit la nouvelle, Yves courut à sa suite vers la scène du crime. Quand ils arrivèrent, la gendarmerie était déjà présente et relevait les empreintes sur la berge. Yves alla directement voir le lieutenant Sovajo, un ami de longue date. Celui-ci lui demanda :
« Est-ce vous qui avez découvert le corps ?
- Non, expliqua le journaliste, c’est Françoise…
- Bien, le coupa Sovajo, je vais la voir.
- Attendez, s’exclama monsieur Bigot, puis-je vous aider à quelque chose ?
- Eh bien… vous pouvez aller avec une de mes équipes, pour relever les empreintes sur la berge en amont, dit-il. »
Notre ami le journaliste suivit l’équipe de gendarmes et découvrit plusieurs traces de pas au bord de l’eau. Ils trouvèrent aussi des traces de sang et un petit médaillon rond contenant une photo délavée par la pluie. Quand Yves Bigot revint voir le lieutenant, mon corps avait déjà était emmené au laboratoire d’analyses scientifiques. Yves lui montra leurs découvertes. Il pensait savoir qui était la seule personne à pouvoir porter un médaillon pareil mais se retint de le dire.
Le journaliste alla ensuite présenter ses condoléances à mes parents (on avait pu identifier mon corps) et leur poser quelques questions par la même occasion. C’est ainsi qu’il apprit que moi, Charlotte Delvoix, aidais parfois le facteur à distribuer le courrier, et il alla, sous prétexte de recueillir des informations pour un de ses articles, interroger ses collègues de la Poste. Un employé lui indiqua que j’avais effectivement remplacé le facteur pour sa première tournée le jour de ma mort.
Le soir même, au café de Monique, les ragots allaient bon train. On disait que les meurtriers étaient les Michelsen, des allemands, ou peut-être Jacques Deroz, un ancien communiste, ou encore monsieur Berchien, un bon menuisier mais alcoolique…
***
Le lendemain, Yves Bigot se rendit à la gendarmerie pour rencontrer le lieutenant Sovajo. Il le vit alors qu’il questionnait Monsieur Berchien dans la salle d’interrogatoire.
« Puis-je savoir pour quelle raison Monsieur Berchien est en garde à vue ? demanda le journaliste à un gendarme.
- Il se trouve que ce matin, lui répondit le brave homme, nous avons trouvé chez lui l’arme du crime, un couteau de chasse. »
Monsieur Bigot alla voir l’inspecteur et le pria de bien vouloir le laisser interroger le suspect et Daniel - c’était le prénom de Monsieur Sovajo - accepta. Alors Yves s’approcha et demanda à Monsieur Berchien, en montrant le médaillon qu’il avait gardé :
« Reconnaissez-vous ceci ?
- Pas le moins du monde, assura Berchien d’un ton las.
- Bon reprit le rédacteur, vous devez vous douter qui je suis ici pour obtenir des informations comme le lieutenant Sovajo et que si vous me répondez, je pourrais vous aider. Alors, dites-moi, où étiez-vous le matin du 2 novembre ?
- Le matin du 2 novembre, j’étais en réunion avec le conseil municipal, des témoins vous le confirmeront.
- Ces témoins sont-ils fiables ? interrogea Yves par acquis de conscience.
- Considérez-vous que le maire n’est pas fiable !? s’emporta Monsieur Berchien excédé.
- Bien sûr que non, mais vous savez, je ne suis ni gendarme ni policier, il se peut donc que je pose des questions surprenantes, s’excusa Monsieur Bigot plus calmement. »
Le rédacteur discuta encore un peu avec le menuisier puis partit voir le maire. Celui-ci lui confirma la présence de Berchien au conseil municipal. Dès lors, comment le suspect pouvait-il être allé au conseil et avoir tué la victime en même temps ?
Ce soir-là, au café de Monique, pratiquement tous les habitants du village étaient là et les ragots étaient toujours aussi nombreux…Voyant que Lionel Portel était l’auteur de plusieurs de ces rumeurs, Monsieur Bigot sortit du bar, saisit son téléphone portable et s’empressa de téléphoner au lieutenant Sovajo pour que celui-ci convoque le notaire à la gendarmerie. Puis il retourna à l’intérieur et s’approcha de Monsieur Portel :
« Bonsoir Monsieur Portel, le salua-t-il, pourriez-vous passez à la gendarmerie demain ? Le lieutenant m’a chargé de vous indiquer qu’il avait quelques questions à vous poser. D’ailleurs, il vous téléphonera sûrement.
- Bien sûr, Yves, répondit Lionel en l’appelant par son prénom, ce qui étonna le journaliste. »
Puis notre ami fit la même opération avec d’autres personnes présentes dont Jacques Deroz, Madame Michelsen et Monsieur Zacqua…
***
Le lendemain, Yves Bigot écouta les interrogatoires de toutes les personnes que le lieutenant avait convoquées la veille, leur posa lui aussi quelques questions et se dit finalement qu’elles avaient toutes un fort bon alibi. Quand il eut terminé, il se dirigea vers la boîte où le gendarme de service avait déposé tout ce qui se trouvait dans les poches et les sacs des personnes qui étaient venues, ainsi que celle de Berchien. Il choisit parmi les objets des tickets de bus, de métro et de train et quelques mouchoirs, espérant ainsi disposer d'indices supplémentaires.
Quand il rentra chez lui, son épouse, Geneviève, lui annonça que Monsieur Sovajo avait convoqué Madame Portel, Monsieur Michelsen, Madame Zacqua et Françoise Deroz pour le lendemain. Yves avala rapidement le sandwich que Geneviève lui avait préparé puis se rendit au laboratoire d’analyses scientifiques pour connaître les résultats de l’analyse des empreintes sur le manche de l’arme du crime. En sortant du laboratoire, Yves Bigot décida d’aller faire le « tour du plateau », une promenade dans la campagne qu’il affectionnait particulièrement, pour mettre ses idées en place. Le ciel était gris et l’air humide, il ne tarderait pas à pleuvoir. Le vent le rafraîchissait agréablement. Vers la fin de sa balade, il commençait à se rendre compte que quelque chose ne collait pas, mais il ne savait pas encore quoi.
Au matin du jour suivant, il assista aux interrogatoires des nouvelles personnes convoquées et là encore, elles semblaient toutes disposer d’un bon alibi : le matin de mon assassinat, Monsieur Deroz était cloué au lit à cause d’un mauvaise grippe, Monsieur Zacqua passa deux heures à tondre sa pelouse (Geneviève Bigot, qui était sa voisine, pouvait en attester), Monsieur Portel était en voyage d’affaires à Paris et les Michelsen, Madame Deroz et Madame Zacqua faisaient leurs courses au marché d’Avallon. Et c’est alors que l’évidence lui sauta aux yeux : les alibis de tous les gens du village étaient solides, sauf un…Pendant le déjeuner, Yves testa ses réflexions auprès de sa femme : elle partageait ses conclusions en tous points. Tranquille et sûr de lui, il passa la soirée à faire des parties de belote chez Monique avec plusieurs voisins. Les rumeurs étaient toujours présentes, mais la passion était un peu retombée par rapport aux jours précédents.
***
Ce dimanche tant attendu, à midi et demi, Yves Bigot invita mes parents les Delvoix, ainsi que les Portel, les Zacqua, les Michelsen, le maire, Monsieur Berchien, les Deroz et le lieutenant Sovajo à prendre l’apéritif chez Monique. L’ambiance était tendue, l’atmosphère électrique. Tous les regards se tournaient vers Berchien qui restait pour tout le monde le principal suspect. Pour tout le monde ? Non, pas tout à fait, car le maire et Yves regardaient fixement les autres invités car ils savaient que Berchien était au conseil municipal au moment du crime. Le journaliste remarqua le léger tressautement du doigt de Lionel Portel et toussota avant de prendre la parole :
« J’imagine que vous savez pour quelle raison je vous ai tous invités, commença-t-il.
- Pour confondre l’assassin, bien sûr ! s’exclama le maire en fixant tour à tour tous les invités.
- Mais oui, c’est ce qu’on attend tous, coassa Madame Zacqua en lançant à Berchien un regard accusateur.
- Bien, continua Yves, c’est effectivement ce pour quoi je vous ai réunis. Pour commencer, je vais vous expliquer ce qui s’est passé le matin du 2 Novembre … Vers sept heures, Charlotte Delvoix passait chez le facteur pour prendre le courrier qu’elle lui avait promis de distribuer tôt le matin, avant de partir pour le voyage organisé par son lycée. Alors qu’elle s’arrêtait devant chez son assassin, Mademoiselle Delvoix dut entendre ou voir quelque chose qu’elle n’aurait pas dû entendre ni voir. Notre assassin s’en est aperçu et a décidé de la supprimer. Il est probable qu’il ait jeté son corps dans la Cure en amont de l’endroit où nous l’avons trouvé et c’est après qu’il se sera fabriqué son alibi…
- Mais dites-nous qui a tué ma fille, implora madame Delvoix.
- C’est ça, qu’on en finisse, renchérit son mari.
- Un peu de calme, s’il vous plaît, temporisa le journaliste. Monique, voudriez-vous resservir un verre à chacun, je vous prie ? La plupart d’entre vous pensent que Monsieur Berchien est le coupable, reprit Yves Bigot. C’est une erreur car il se trouvait, à l’heure du meurtre, en plein conseil municipal. Et si l’arme du crime a été trouvée chez lui, c’est que le coupable l’y a dissimulée. »
Vous souvenez-vous quand je vous ai dit que notre ami avait conclu que tous les alibis étaient solides, sauf un ? Nous y voici…
« Tout a démarré quand des gendarmes ont trouvé l’arme du crime chez Monsieur Berchien, commença Yves Bigot, vous êtes d’accord…
- Mais vous venez de dire que ce n’était pas lui ! s’emporta mon père.
- Laissez-moi terminer je vous prie, reprit Yves, je suppose que personne n’a pensé à demander aux gendarmes les résultats l'examen de l’arme du crime fait par le laboratoire.
- Nous avons pensé que l’assassin avait effacé les empreintes, bafouilla tant bien que mal Madame Portel.
- Eh bien non et je vais vous dire à qui elles appartenaient, continua le journaliste, ces empreintes était celle de… Lionel Portel.
- QUOI !! s’exclama l’intéressé.
- Et ce n’est pas tout. Lors d’un de mes passages à la gendarmerie, pendant les interrogatoires, j’ai récupéré les billets de train et de métro utilisés par monsieur Portel pour son voyage à Paris le jour du meurtre. Vous nous avez menti Lionel, vous n’êtes parti à Paris que le matin même à 6h30 et pas la veille à 11h00 comme vous l’avez déclaré. Vous aviez tout le temps d’éliminer Charlotte Delvoix.»
Un long silence suivit cette déclaration, tous les regards se tournèrent vers le notaire qui se tortilla sur sa chaise avant d’exploser :
« Si tu n’avais pas été là, toi, espèce de journaliste fouineur, personne ne se serait rendu compte de rien ! hurla le coupable. »
Puis il essaya de se jeter sur Monsieur Bigot mais, heureusement, Messieurs Zacqua et Delvoix purent le retenir. Le lieutenant Sovajo téléphona aux gendarmes et on emmena Lionel à la gendarmerie. Quand il ne resta plus qu’Yves et Monsieur Sovajo, ce dernier prit la parole :
« Voilà tout est fini, je vous remercie car sans vous nous n’aurions jamais découvert l’assassin, commenta-t-il.
- Vous me voyez flatté, mais quelque chose me chiffonne encore…, soupira le journaliste.
- Et quoi donc ? le questionna le lieutenant.
- J’aimerais savoir quelle mystérieuse raison a bien pu pousser le notaire à faire un tel geste. Qu’a donc vu ou entendu la jeune Charlotte ? Peut-être le saurons-nous un jour… ».

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