mercredi 18 mars 2009

Une rose nommée Violette, Clothilde

« Madame, madame. Le thé est prêt ». Barbara, la femme de chambre dévouée de Mme Wood, sortit sur la terrasse, un petit plateau à la main. La petite femme brune, aux cheveux plutôt ternes, se mit à parler plus fort.
− Madame, madame !
− Ne hurlez pas comme ça, Barbara. Allez voir au niveau du jardin, elle aime à si rendre en ce moment.
− Bien, Monsieur Ed.
Ed s’appuya sur la rambarde de la terrasse et alluma une cigarette, une bouffée de fumée s’éleva vers le jardin quand un hurlement se fit entendre. « Ahhhhhhhhh, monsieur, c’est madame … »

L’inspecteur Welles fut dépêché sur l’affaire. C’était un homme de taille moyenne, bien coiffé. Il sortit de la poche de son pantalon un petit dictaphone en se rendant à la serre. Il le mit en marche.
− Diane, nous sommes le vendredi 19 janvier, il est 20h35 pour être précis, et je me rends dans la serre du jardin de la demeure Wood, où Mme Wood, propriétaire de la demeure, a été retrouvé morte cette après-midi, à 16h45, par la femme de chambre Barbara. La serre se trouve à mi−chemin au centre du jardin, sur la gauche. Oh ! La serre est très jolie ma chère Diane, elle est remplie de dizaine de roses odorantes ; faites moi penser à vous ramener un bouquet. La victime a été tuée d’un coup de poignard dans le cœur. Comme il n’y a qu’un seul coup et qu’il a été porté face à la victime, je peux préciser que la victime connaissait son agresseur. De plus, comme l’arme du crime n’était pas dans la serre et qu’elle ne s’y trouve plus, je dirais que le crime est prémédité. Les suspects potentiels sont donc Ed, son fils, la femme de chambre, le majordome et le jardinier. Ma chère Diane, cette enquête me semble passionnante.

L’inspecteur fit le tour de la victime avant que le médecin légiste ne relève le corps.
− Notons, Diane, qu’il y a des traces de pas venant du fond du jardin, une grande pointure semble-t-il, certainement un homme.
− Bonsoir vous vouliez me voir ?
− Ah très bien, vous devez être Barbara Chaplin ? Depuis combien de temps êtes-vous au service des Wood ?
− Eh bien, il me semble que ça fait déjà 35 ans. Je m’occupe de Madame et je lui tiens compagnie, et parfois de monsieur aussi quand il est parmi nous.
− Vous lui servez aussi de dame de compagnie ?
− Non monsieur, les gens de ma condition ne doivent pas avoir ce genre de relation.
La petite femme parut assez fâchée.
− Où étiez-vous en début d’après−midi ?
− J’ai laissé Jimmy seul au jardin ; j’ai donné deux, trois instructions à Glen, le majordome, avant de partir au village faire des courses en ville. Monsieur se disputait une fois de plus avec Madame, elle le menaçait de l’enlever de son testament s’il continuait à jouer aux courses. Mais elle ne l’aurait jamais fait et il le sait bien. Puis je suis rentrée, et j’ai préparé le thé.
− Vous n’avez rien vu d’autre d’étrange ?
− Non, monsieur… Ah, si, le pendentif de madame a disparu ; c’était une chouette en or, sur une chaîne en or. Oh ! Du bien bel ouvrage…
− Merci beaucoup.

L’inspecteur prit des notes dans son petit calepin tout en retournant vers la maison. Il entra dans le salon. Ed était assis sur un fauteuil, son teint était livide. Il devait avoir à peine une trentaine d’années, plutôt bel homme, avec une grande classe. Le majordome lui tendit un verre d’eau. Welles fit signe au majordome de les laisser. Il s’assit aux côtés de Ed.
− J’ai appris que vous vous êtes disputé avec votre mère en début d’après−midi ?
− Et bien sûr, ça fait de moi le coupable idéal !
− Je ne crois pas au coupable idéal, je ne crois qu’aux faits. Donc, vous vous êtes disputés et ce n’était pas la première fois.
− Non, on se disputait souvent avec ma mère, elle n’aimait rien de ma vie : mes amis, mes loisirs…
− Comme les courses.
− Oui, mais au fond, c’était une brave femme ; elle avait peut-être raison ; elle avait peur que je dilapide la fortune que mon père m’a laissé, mais j'ai de bons placements qui rapportent bien. Je ne lui ai jamais dit. Les courses sont mon petit vice.
- Pourquoi ne lui avez-vous rien dit ?
- Comme ça, elle faisait un peu attention à moi
- Bien, bien. Qu'aviez-vous fait en début d'après-midi ?
- Et bien, je me suis donc disputé avec ma mère, puis je suis sorti. De rage, j'ai frappé dans un mur et me suis fait assez mal. J'ai donc demandé à Glen de me descendre en ville, au PMU. Puis nous sommes revenus vers 16h30. J'ai vu Barbara qui cherchait ma mère, je suis sorti fumer, et là, vous connaissez la suite.
- Parfait, parfait. Glen pourra confirmer votre déposition, j'en suis sûr.

Welles se dirigea vers la cuisine, avec son dictaphone. Arrivé à la porte du salon, il se retourna : "Vous voyez, pas de coupable idéal, que des faits".
Il s'arrêta dans le couloir, réfléchit un moment, puis reprit son dictaphone. "Diane, j'aime de plus en plus cette histoire, c'est passionnant. Si ce que M. Wood m'a dit est exact, il ne me reste qu'un suspect, Jimmy le jardinier. Je vais aller interroger le majordome, chaque témoignage à son importance."

Il trouva Glen dans la cuisine. Celui-ci confirma les dires du fils Wood. Il déclara ensuite avoir vu Barbara descendre en ville avec son panier, puis avoir confier la garde de la maison à Jimmy en son absence. Welles découvrit que Jimmy travaillait depuis 2 ans au service des Wood, qu'il s'entendait très bien avec tout le monde et qu'il avait une passion pour les roses. L'inspecteur décida qu'il était temps de rencontrer Jimmy.

Il descendit dans le jardin. "Diane cette partie de la région parisienne est fort jolie, quoique un peu plate. Mais quel dépaysement à seulement une heure de Paris. J'y reviendrai sûrement en week-end. On y voit des champs à perte de vue. J'ai demandé au majordome : la spécialité de la région est la betterave sucrière, mais ça ne se mange pas. Je trouverai certainement quelques sucreries… On m'a conseillé la moutarde de Meaux, mais sur des tartines au petit déjeuner cela ne me dit rien. Ah ! Ce jeune homme me parait être Jimmy."

Un magnifique jeune homme s'avança vers Welles. Un brun sculptural avec une peau légèrement ambré, les cheveux un peu en bataille. Il portait un jean et un pull camionneur gris foncé, avec les manches relevées. Une chaîne en or apparut légèrement de sous son pull. Un dandy bohème avec les mains pleines de terres.
- Vos baskets sont immaculées, releva Welles amusé.
- C'est que je sors de la serre. Je fais toujours attention dans la serre. Mon Dieu, inspecteur, c'est bien vrai toute cette histoire ? Pauvre Madame Wood.
- Oh, laissez Dieu en dehors de ça ; tout ceci est l'œuvre de l'homme. Bien, parlons de vous.
- Eh bien, je suis au service des Wood depuis 2 ans. J'ai rencontré madame Wood sur un marché, je vendais des fleurs. Nous avons parlé de mes roses. Elle m’a permis de venir ici pour assouvir ma passion pour les roses contre l'entretien du jardin. Je les cultive, je soigne, je bouture, je greffe pour créer la rose parfaite et V.., madame Wood m'encourage dans ce sens.
Le jeune homme paru tendu.
- Y aurait-il une chouette au bout de votre chaîne ?
- Oui, oui bien sûr. Un présent de madame Wood, pour m'encourager dans mon travail.
- Avez-vous des bottes ?
- Une magnifique paire, que je mets quand je vais au potager.
- Mais pas dans la serre !
- Exactement je change toujours de chaussures quand je vais dans la serre.
- Alors, ces traces de pas qui viennent du fond du jardin...
- Je ne sais pas, inspecteur, je n'étais pas dans le jardin cette après-midi et je suis sûr que ces traces n'y étaient pas ce matin.
- Pourtant, je suis sûr que les traces vont coïncider avec celles de vos bottes. Hum, vous dites que vous n'étiez pas dans le jardin cette après-midi, pourtant, Glen vous y a vu.
- Oui, j'ai bien vu Glen avant qu'il ne parte, mais dans la maison, pas dans le jardin. En fait, je n'ai rien dit à personne car ce devait être une surprise, mais cette après-midi je ...
- Ce jeune homme est innocent, par ma barbe ! vociféra une voix derrière eux.
- Ah, professeur, vous voilà, dit Jimmy d'une voix soudain plus légère.

Un petit homme apparu. Il avait une barbe blanche en bataille et des cheveux blancs tout aussi désordonnés ; de grosses lunettes cachaient presque le reste de son visage, il paraissait minuscule.
- Inspecteur, je vous présente notre voisin, le professeur BarbeMolle. Un grand scientifique, spécialiste en pilules en tout genre ...
- Le petit est innocent, coupa une fois de plus le professeur. Il est venu me voir vers 15h pour me montrer sa dernière création, une rose nommé Violette, un chef-d'œuvre. Nous avons parlé ensemble jusqu'à ce que l'on entende les cris. Pauvre petit, il voulait faire la surprise à Mme Wood.
Welles sourit.
- Dis-moi, Jimmy, vos rapports avec la victime étaient plutôt intimes ?
- Oh, non monsieur, les gens de ma condition ne doivent pas avoir ce genre de relation. Nous nous entendions bien, mais cela restait professionnel, tout de même.
Le visage de Welles s'illumina.
- Une rose nommée Violette… mais bien sûr !
Il se tourna vers le professeur.
- Mon tout petit ami, voulez-vous bien demander à tout le monde de se réunir au salon ?
Tout le monde fut réuni assez rapidement au salon, grâce au tempérament du petit professeur. Welles, décontracté, semblait prendre un malin plaisir à les faire patienter. Il regardait ses notes sur son calepin, regardait l’assistance, puis regardait une fois de plus son calepin. Puis il se décida enfin.
- Mes chers amis, voila quelques heures que je suis parmi vous pour élucider ce meurtre, oui « meurtre » mes amis, Madame Wood a bien été tuéé ! Je peux même dire qu’elle a été assassinée par un proche, une personne qui est avec elle tous les jours. Et cette personne est parmi vous.
L’angoisse sur le visage de l’assemblée réunie sembla bien plaire à l’inspecteur.
- Voici donc les faits. Cette après-midi vers 14h30, cela a été précisé à l’instant par le légiste, la veuve Wood a été tuée d’un coup de couteau dans le cœur. Nous savons que juste avant de mourir, elle s’était disputée avec son fils Ed, à propos de son addiction aux courses. Celui-ci s’étant fait mal au pied, s’est rendu en ville au PMU avec Glen le majordome. Barbara est partie juste avant eux en ville également pour faire des courses. Madame Wood est donc sortie à ce moment dans le jardin pour se rendre dans la serre comme elle le faisait souvent. Elle était donc seule avec Jimmy me dirait vous... Eh bien non…Et c’est là l’erreur de notre assassin, puisque Jimmy voulait faire une surprise à Mme Wood en lui créant une rose à son nom, une rose nommée Violette, Violette Wood. Il a donc rendu visite à votre voisin, le professeur BarbeMolle, pour lui demander quelque derniers conseils. Il était si facile de faire accuser ce pauvre Jimmy, lui qui était si proche de la victime, trop proche apparemment pour notre assassin. Donc me direz-vous, si ce n'est Jimmy qui avait intérêt à le faire accuser, à mettre toutes les preuves sur son dos, à se débarrasser de lui ? Et comment, me direz-vous, puisque tout le monde a un alibi ! Eh bien non ! Une personne n’a pas vraiment d’alibi, une personne a pu revenir à la demeure en passant par le fond du jardin, en ayant pris soin à l’avance de se munir d’un couteau et des bottes de Jimmy, elle a trouvé la veuve dans la serre et non pas dans le jardin. Erreur, puisque jamais Jimmy ne serait rentré dans la serre avec ses bottes. Qui a bien pu tuer la veuve d’un coup au cœur… car oui ! C’est bien le cœur que l’assassin voulait frapper. Ma pauvre Barbara, vous avez une fois de plus commis une erreur dans votre amour aveuglant pour Jimmy, il n’y avait rien entre la veuve et Jimmy, juste une profonde affection. Comme vous avez dû le répéter souvent à Jimmy, les gens de votre condition ne doivent pas avoir ce genre de relation. Mademoiselle Barbara Chaplin, vous êtes en état d’arrestation pour le crime passionnel contre la veuve Wood.
Barbara fondit en larmes, toute l’assemblée resta abasourdie par ces révélations, personne ne bougea. Un officier fit son entrée et emmena Barbara qui n’opposa aucune résistance, comme si un lourd secret venait d’un coup de s’envoler.
Welles fit une petite révérence et quitta le petit groupe.
- Ma chère Diane cette enquête …
- Inspecteur ?
« Décidément ce petit homme coupe continuellement la parole », pensa Welles.
- Oui, mon ami.
- Dites-moi, il est tard maintenant, vous n’allez pas faire la route à cette heure. Venez chez moi, vous me raconterai comment vous avez résolu cette affaire aussi vite. Ah, et vous me direz qui est cette Diane aussi…
- Eh bien professeur, c’est très simple…
Les deux hommes s’éloignèrent dans la pénombre du jardin.

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